Conversation in absentia

00:56

 - Combien font 2734 x 24? 

- Je ne sais pas. Je ne sais pas compter aussi loin. De toute façon, passé un certain nombre, on quitte le domaine de la réalité pour basculer dans l'abstrait.

- C'est vrai que le résultat doit être grand...

- Mais c'est quoi, au juste, ce calcul? Pourquoi tu veux savoir ça?

- C'est le nombre d'heures qui me séparent du dernier moment où j'ai entendu ta voix.

- ...

- C'est drôle, tout ce temps qui passe, des centaines, des milliers d'heures. Des milliers, des dizaines de milliers d'heures, et pourtant, elle résonne encore très clairement dans ma tête, ta voix. Je t'entends encore mumurer mon prénom. J'entends encore ton rire, comme des notes claires et crystallines qui brodaient des notes joyeuses tout là-haut, dans l'air. Une symphonie.

- K...

- Je le sais, je le sais. Tourne la page. Passe à autre chose. Après 65 616 heures, je le sais, que tu ne reviendras pas. Je ne t'espère plus.

- Alors pourquoi tu m'écris encore? Pourquoi, chaque soir, quand tu poses ta tête sur l'oreiller, tu me souhaites bonne nuit?

- Parce que j'ai l'impression qu'en continuant à faire vivre le souvenir de toi, le vide que je ressens à l'intérieur prend un peu moins de place. En m'accrochant aux souvenirs que j'ai de toi, j'ai moins peur d'être avalée par le trou noir causé par ton départ. Parce que je préfère l'écho de ta voix au vacarme de ton silence. Tu comprends?

- Oui.

- Je te souhaite bonne nuit chaque soir en espérant que tu vas bien, que tu es heureux et bien sans moi. Que tu as pris la bonne décision en me laissant. Parce que si tu es malheureux loin de moi, personne n'y a rien gagné, à cette séparation.

- Tu le sais pourquoi je suis parti.

- Non je ne le sais pas. Tu ne me l'as jamais dit. Mais oui, je sais. Enfin, je crois...

- Oh! K...

- Mes amies me disent que le temps aide à apaiser la peine. Je ne sais pas si c'est vrai. La peine de t'avoir perdu, elle est encore là, comme une lentille qui change mon regard. Je ne sais pas si le temps pourra un jour y changer quoi que ce soit. Honnêtement, après tout ce temps, j'en doute. J'ai juste appris à voir à travers mes yeux embués une réalité qui prend une forme différente, une réalité aux contours un peu plus flous et aux couleurs que je tente de reconnaître. J'ai dû réapprendre le monde dans lequel il n'y avait plus de nous.

- C'était si bien que ça, nous?

- Oui. C'était beau. J'étais vraie. Tu as éclairé mes parts d'ombre. Tu m'as forcée à me regarder complètement, entièrement. Et je me suis aimée plus que jamais dans tes bras. Dans tes yeux.

- Mais tu es encore cette femme-là, mon ange...

- Tu vois, c'est pour ça que je te parle encore, dans ma tête. Pour que tu me rappelles qui je suis.

- 65 617...

- Bonne nuit, Jean-Pierre...

- Bonne nuit, mon ange.




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