Astrophysique du coeur

09:17


Il est des jours où j'arrive presque à oublier. Comme si la plaie s'était refermée, laissant place à une cicatrice. Le genre de cicatrice dont on aime raconter l'histoire, plusieurs années plus tard. Comme ton oncle Jean-Claude qui te raconte l'histoire de la balafre qu'il a sur la joue droite: c'était en 1957. Parfois, de nouveaux détails apparaissent dans son récit pourtant entendu dix, douze fois. Ce jour-là, le souvenir est plus vif. Comme Jean-Claude, j'aime raconter l'histoire de ma cicatrice de toi. Ce n'est pas une simple anecdote, mais une belle histoire qui me permet de parler de nous, le sourire aux lèvres et les yeux brillants. Je savoure ce «nous» que je prononce comme un bonbon dur: je le laisse fondre lentement sur ma langue pour en faire durer la saveur et la douceur le plus longtemps possible. Nous raconter me permet de te faire exister en dehors de moi. La plupart du temps, ton souvenir ne m'est plus douloureux.

Il est d'autres fois où je me surprends à penser, en me mettant au lit tard dans la nuit, que ce jour-là, je n'avais pas encore pensé à toi. Je ferme les yeux et te souhaite bonne nuit. Où que tu sois. Sans tristesse. 

Aujourd'hui n'est pas un de ces jours sereins. Aujourd'hui, tu me manques cruellement. Comme si un grand trou noir m'avalait le coeur. Comme si ce qui reste de beau dans ma vie disparaissait et qu'il ne restait plus que ce vide laissé par ton absence.

Tu m'as laissée depuis si longtemps. J'aurais dû guérir complètement. Ce n'est pas le cas. Mais j'ai eu le temps de réfléchir. J'ai eu le temps d'essayer de comprendre. De me mettre à ta place. D'imaginer les raisons qui t'ont poussé à m'arracher à ta vie. Je crois bien les avoir comprises. Mais deux choses m'empêchent de tourner la page pour de bon. D'abord, l'incertitude. Et si je n'avais rien compris? Si j'avais tout faux? Comment penser aller de l'avant si j'ai merdé au point où tu m'as banni de ta vie, comme un membre gangrené que l'on ampute pour sauver le reste du corps? Si tu savais comme ton départ me laisse l'impression d'être sale, toxique... Pourtant, les sentiments que j'avais pour toi sont parmi les plus purs que j'ai éprouvés de toute ma vie. Limpides. Je t'aimais. De tout mon être.

Ensuite, cette question qui me brise le coeur chaque fois que j'y pense... Comment peux-tu vivre en paix sachant à quel point tu m'as brisé le coeur? Tu connais ma douleur parce que je te l'ai confiée. Tu n'as rien dit, mais tu sais. Comment peux-tu, toi, aller te l'avant sans te sentir coupable? Comment peux-tu ignorer pareille souffrance? Comment ai-je pu me tromper à ce point sur quelqu'un? Est-ce que tes magnifiques yeux vert clair et tes doigts agiles ont pu à ce point m'éblouir pour que je ne voie pas que tu étais un égoïste? Je refuse de croire que j'ai aimé un salaud! Je rejette l'idée que tu vis bien avec la peine que tu me causes. Alors dans ce cas, pourquoi ne pas me répondre? 

Pourquoi le silence?





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3 commentaire(s)

  1. magnifique texte.
    j'aurais aimé avoir l'idée du titre :)

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    1. Merci.
      Je suis étonnée qu'il passe encore des gens pour lire mes mots. Mes maux...

      En ce qui concerne le titre, c'est le trou noir, qui l'a inspiré...

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    2. "c était ce qui me paraissait le mieux, pour nous deux" était sa réponse...dans mon cas
      superbe texte

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